Sen24.info – (Dakar) Notre pays vient de vivre des moments douloureux mettant en péril les fondamentaux de notre très chère République. Nous vivons un mal très profond dont les racines sont à rechercher dans le formatage du logiciel mental des Sénégalais, particulièrement celui des hommes politiques.
A commencer par le Président Macky SALL qui a grandement contribué à l’accentuation du malaise profond que les Sénégalais vivent actuellement. Avec la suppression du poste de Premier ministre suite à sa réélection en 2019, le président de la République a déclenché un processus de personnalisation excessive de son pouvoir. L’absorption des prérogatives du Premier ministre par le président de la République et l’effondrement des partis traditionnels qui a commencé lors de l’élection présidentielle de 2012, font, plus que jamais, du Chef de l’Etat le point central autour duquel gravitent tous les autres acteurs du système politique et social.
La crise sanitaire de la COVID-19, survenue juste une année après sa réélection en février 2019, a été un prétexte qui a permis au président de la République de dépouiller l’Assemblée nationale de ses prérogatives. En effet, avec l’état d’urgence sanitaire, le Sénégal a été mis en situation de gestion exceptionnelle faisant que les décisions majeures sont prises par le Président de la République conduisant l’Assemblée nationale à les ratifier a postériori. Nous assistons, ainsi, à la prééminence du pouvoir exécutif sur le législatif avec l’élargissement continu des pouvoirs du Président de la République.
S’y ajoute la perspective du « troisième mandat » tant décrié, sur lequel, le Président de la République a gardé une posture digne d’un joueur d’échecs qui surfe entre bluff et triche frôlant même le « jeu de dupes ». En plus, on assiste à la stratégie d’élimination des adversaires politiques basée sur de petites combines et de petits calculs dont le Président Macky SALL est passé Maitre. Empêtré dans ce jeu, le Chef de l’Etat en est arrivé à oublier les enjeux majeurs de l’heure : l’aggravation du chômage des jeunes créant un mal-être qui les conduit à braver les dangers de l’océan, les problèmes fonciers, la mauvaise gouvernance, la crise de l’éducation, l’absence de plateaux médicaux de niveau acceptable… C’est à se demander si le Président Macky SALL n’a pas contribué à alimenter les maux de la démocratie : déresponsabilisation des citoyens, critique des médias, dislocation de l’opposition, neutralisation des contre-pouvoirs.
Tour à tour , « renard ou lion », dissimulant ses intentions derrière les masques changeant en fonction des circonstances, le Président Macky SALL incarne un pouvoir sans partage, coupé à la fois du peuple dont il passe son temps à gérer les « humeurs ». Cette situation a atteint son summum depuis qu’il a adopté une posture empreinte d’arrogance et de condescendance vis-à-vis du peuple sénégalais.
Entouré de ministres et de conseillers sans envergure, d’un Parlement fantôme, le Président Macky SALL gouverne dans un tête-à-tête avec l’opinion publique.
Dans cette partie de « jeu de dupes », Ousmane SONKO a été cette fois-ci plus futé. Lui qui a réussi une mise en scène digne d’une comédie dramatique, qui est un genre cinématographique qui utilise les caractéristiques de la comédie à des fins dramatiques. En parlant de drame, le Sénégal a été bien servi pendant 3 jours durant lesquels le chaos a été frôlé. En effet, Ousmane SONKO a réussi dans sa mise en scène à transformer une affaire privée en ce qu’il qualifie de « complot d’Etat ». Il a réussi, en utilisant la stratégie de victimisation, à cristalliser les mécontentements d’une jeunesse désœuvrée, sans espoir ni espérance. Cette stratégie de victimisation a consisté à crier au scandale plus fort que son adversaire pour faire oublier qu’il s’est fait prendre la main et le corps sur la table de massage. La mise en scène orchestrée a atteint son paroxysme quand il a choisi, à dessein, d’emprunter un itinéraire pour répondre à la convocation du doyen des juges après avoir réussi au préalable, à faire dessaisir le Juge du 8ème cabinet Mamadou SECK pour l’avoir non seulement récusé en tant que suspect, mais surtout sacrifié sur l’autel de la vindicte populaire. Quand son cortège a été arrêté par les forces de l’ordre à hauteur de Mermoz, Ousmane SONKO, en allant rejoindre le véhicule des gendarmes, a mis ses mains croisées dans le dos, donnant l’impression qu’il a été menotté. Les images qui ont simultanément circulé sur les réseaux ont réussi à révolter les jeunes surtout du côté de l’Université et ont déclenché ainsi les violences que nous avons vécues.
Ousmane SONKO a ainsi réussi son pari d’imposer au Président Macky SALL le combat de gladiateurs et a fini par gagner le rapport de force. Mais à quel prix ? Avec quels moyens ? Sans parler des lourdes conséquences à tous les niveaux.
Les premières leçons à tirer de ces évènements sont multiples. Nous pouvons retenir en premier lieu que l’affirmation de la nécessité d’hommes forts et la propension à créer des icônes politiques, présentent des dangers certains pour notre démocratie.
Si dans un passé récent, le débat portait sur des offres politiques avec des programmes pertinents qui garantissent une progression du niveau de vie et du bien-être social, aujourd’hui les frontières du combat politique se sont déplacées vers des sujets plus faciles à appréhender par l’opinion. C’est ainsi que des thématiques comme l’identité, l’ethnicité, le sectarisme religieux, la souveraineté nationale, liées aux modes de vie et à des représentations abstraites, plus aisément sujettes à des interprétations émotionnelles, ont refait surface dans la vie politique et progressivement pris le pas sur toute autre considération. Sur ce registre identitaire et ethnique, Ousmane SONKO utilise ses origines casamançaises pour réveiller les vieux démons de la division entre Originaires de la région du Sud et les autres Sénégalais. Nous l’avons tous remarqué dans ses discours ; c’est pourquoi, tous les Sénégalais soucieux de la République, doivent à l’image de Madiambal DIAGNE s’ériger en vigie pour dénoncer et condamner avec la dernière énergie les dérives identitaires et ethniques d’Ousmane SONKO.
Au regard de ces dangers, n’y a-t-il pas lieu de s’interroger sur l’émergence des « phénomènes » politiques qui se muent dans un populisme qui serait davantage un discours, une stratégie de mobilisation, plutôt qu’une vision louable, une idéologie durable.
Cette culture du populisme a fait naitre une nouvelle race de politiciens entrainant une conception messianique de la politique, un besoin d’un leadership charismatique empreint d’un semblant de moralité, de religiosité… Dans ce contexte de mutation rapide des règles qui structuraient jusqu’alors la vie politique, on assiste à l’apparition de nouveaux hommes politiques, à l’ascension fulgurante sans possibilité de retracer leur parcours pour s’assurer de leurs capacités à diriger un pays. Jusqu’à présent, la compétition politique consistait en une course de fond, jalonnée d’étapes et parsemée d’embûches. Elle justifiait des carrières longues dont l’enjeu était de permettre au candidat de construire un ensemble de convictions et une expérience de terrain en vue d’acquérir les aptitudes d’un véritable homme politique et d’Etat, mais aussi de constituer un capital-expérience indispensable à l’élection d’un Président. Si besoin en était, Maitre Abdoulaye WADE est la preuve palpable de ce qui précède.
Au lieu de cela, nous avons des « météorites » de la politique comme Ousmane SONKO dont l’ascension a pris de court jusque dans son entourage. Longtemps considéré comme le leader politique des affidés des réseaux sociaux alors qu’il sortait troisième de la dernière élection présidentielle avec 15,67%, il est en train de voir sa popularité exploser après avoir défié le pouvoir « fort » du Président Macky SALL. Pour une affaire de mœurs dans laquelle il est mêlé, Ousmane SONKO a réussi à transformer cette sordide affaire en ce qu’il qualifie de « complot politique » avec son lot d’appels au soulèvement pour finir par mettre le régime de Macky SALL à quatre appuis au bout de 3 jours de rudes affrontements dans les rues. Cette affaire de mœurs est en train de marquer le point de départ d’une ascension fulgurante de l’homme politique qui se transforme en véritable « SONKO mania », en pur produit médiatique développant un sens aigu de la communication et une capacité à formuler un récit personnel autour de sa personne. Ce récit est renforcé par le soutien de la presse people et des réseaux sociaux, leviers d’une personnalisation qui peut se muer en véritable mania. Cependant, le véritable danger se trouve dans le fait que SONKO néglige le programme politique qu’il juge certainement secondaire. Pour lui, seul compte l’étoffe, la carrure, la mise en scène à travers une communication populiste ponctuée d’assertions ethnicistes, mouillée d’émotion au détriment de l’exposé d’idées et d’une offre politique structurée et pertinente. La stratégie de SONKO consiste à considérer les électeurs comme un public non capable de fonder ses choix sur un programme politique, économique et social digne de ce nom mais plutôt en masse électorale qu’il faut divertir ou émouvoir pour avoir leur vote.
Ousmane SONKO est en train de construire une « marque » autour de sa personne espérant que cette stratégie marketing va permettre son élection. Il est la preuve de l’ascension soudaine d’individus isolés qui marque une rupture avec les anciens parcours politiques, construits sur une ambition de long terme et des convictions profondes enracinées dans une grande culture politique. Ceci le pousse à ne croire qu’en lui-même et à saisir les opportunités au bon moment comme les alliances contre nature qu’il noue à tout bout de champ.
N’est-ce pas lui qui décriait le système alors qu’il a cherché le soutien de Maitre WADE et récemment de Ahmed Khalifa NIASSE, acteurs incontournables du système tant décrié. N’est-ce pas Ousmane SONKO qui se réclamait salafiste alors que le Sénégal entier découvre qu’il est devenu talibé mouride. Et j’en passe. Reniement ou tentative de leurrer les Sénégalais ? L’avenir nous édifiera.
Face à une nouvelle demande sociale revendiquée par les citoyens qui exigent de prendre une part plus grande dans la gouvernance de la Cité, jusqu’ici limitée aux rares occasions que leur offrent les rendez-vous électoraux, le Président Macky SALL, en bloquant le déroulement du calendrier électoral, ne leur permet pas de s’exprimer à travers les élections.
C’est pourquoi avec leurs smartphones, les populations se sont emparées de la parole publique, pour le meilleur et pour le pire, et s’en servent pour rentrer, via le monde virtuel, dans un nouveau rapport avec le personnel politique. Le pouvoir de ces nouveaux espaces virtuels de protestation a fait ses preuves, comme en témoignent les révolutions du Printemps arabe déclenchées essentiellement grâce à Facebook. Les réseaux sociaux sont devenus des « espaces de contestation », en ce qu’ils fournissent de nouveaux moyens à la liberté d’expression, et à la possibilité donnée aux citoyens de remettre en cause l’autorité et les décisions des gouvernants en dehors des rendez-vous électoraux.
L’expression de cette nouvelle culture de contestation au sein de la jeunesse a favorisé l’émergence de formations politiques antisystème comme PASTEF qui a fini de démontrer que la stratégie de la terreur, via les réseaux sociaux, pourrait être payante. Cela a contribué à anéantir les contre-pouvoirs classiques pendant que les partis politiques sont devenus moribonds et désertés. Les réseaux sociaux sont arrivés à reléguer en second plan les médias traditionnels qui sont critiqués par l’opinion publique pour leur subjectivité supposée et qui commencent à connaitre à leur tour un grave déficit de légitimité. Quant à la Justice dont l’indépendance et l’impartialité sont souvent remises en question, elle est affaiblie et ne cesse de montrer des signes de fébrilité qui font douter sur sa capacité à garantir aux justiciables des jugements fondés uniquement sur le droit en dehors de toutes pressions.
Cette situation contribue à renforcer des chapelles politiques comme PASTEF, parti face auquel « Benno Bokk Yakaar » est incapable de s’ériger en coalition de conquête, structurée pour faire face aux assauts de SONKO et de ses partisans. « Benno Bokk Yakaar » est une structure fantôme, faute d’être capable d’exister hors de l’ombre d’un Président tout puissant.
Le renforcement du parti PASTEF faisant d’Ousmane SONKO un populiste à la sauce chilienne, la seule alternative au Président Macky SALL, ne constitue-t-il pas un danger sans précédent pour le Sénégal et pour les Sénégalais ? Rappelons-nous de Santiago de Chili…
Si en 2000, Abdoulaye WADE s’est appuyé sur le programme « sopi » qui est un programme de transformation du Sénégal et a constitué le moteur de l’illusion des électeurs malgré ses résultats mitigés, Ousmane SONKO, lui, leader du parti « antisystème » PASTEF, fait lui-même office de programme et prétend symboliser à lui seul le changement. Pis, il veut s’ériger en leader charismatique pour détruire la distance entre ses propres sentiments et impulsions et ceux de ses partisans, en concentrant l’intérêt de ceux-ci sur ses motivations. Il veut les dissuader de l’évaluer à l’aune de ses actes.
Nous devons casser ce mythe et cette fascination pour les leaders populistes, faute de quoi Ousmane SONKO, plus vertical et sans aucune compétence garantie, viendra succéder au président Macky SALL qui a démontré à suffisance son incapacité à résoudre les problèmes majeurs des Sénégalais. Cette réflexion doit nous conduire à ne pas reproduire sans fin les mêmes erreurs dans le choix de nos dirigeants. On ne doit plus être dans une situation d’élire un Président par défaut parce qu’on veut « chasser » du pouvoir celui qui est la cause de tous nos maux. Il nous faut faire un choix lucide, réfléchi et éclairé basé sur des critères plus objectifs comme la pertinence des offres politiques, ainsi que le background des candidats. Il nous faut également travailler à avoir une représentation modernisée à l’aide d’institutions reformées avec des mécanismes de démocratie participative, des référendums d’initiative ou révocatoires permettant de contrôler les dirigeants et représentants.
El Abdoulaye GUEYE
Ancien Conseiller Technique à la Primature
chargé de l’économie et des finances
Vigie de la République