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Le métier de lingère encore surnommée « Fotkat » : un secteur en pleine mutation à l’ère du machinisme…

Sen24.info – (Dakar) Médina, rue 10, non loin de l’école Médine, derrière une grande porte se trouve un vaste terrain, lieu de travail d’un groupe de femmes qui s’activent à la tâche. Certaines assises devant leur bassine, les mains trempées dans la mousse, frottent rigoureusement la lessive. D’autres plus loin, s’activent à l’étalage des vêtements lessivés. Ces « fotkat », comme on les appelle en langue wolof, ont acquis plusieurs années d’expérience dans ce métier, tandis que pour certaines c’est juste pour un tremplin, histoire de trouver des ressources financières. L’une d’entre elles, prénommée Maïmouna, la quarantaine, en est à sa douzième année d’exercice de ce métier qui lui permet de prendre en charge toute sa famille.

Le métier de lingère encore surnommée « Fotkat » : un secteur en pleine mutation à l’ère du machinisme…

« Ce métier, c’est tout ce que je sais faire. Je m’y active depuis très longtemps, environ douze ans de pratique. Ici à chacun sa méthode de travail, certaines ont un gain mensuel, d’autres font le « siggi faye » ou « tew mi tew », c’est à dire qu’on les paie cash une fois le travail accompli. Pour ce qui est de mon cas, j’ai opté pour le deuxième parce qu’il me faut assurer les dépenses journalières », explique-t-elle.

Et parlant de méthode de travail, chacune a sa ruse pour assurer son business. Ici, la taylorisation et la standardisation s’appliquent au choix, selon le style ou la  méthode adoptée par ces groupes de dames ; et même si la plupart d’entre elles ne maîtrisent pas ou pire, n’ont aucune idée de la signification de ces concepts purement économiques.

« Je travaille ainsi. Si le client apporte le lot de vêtement, je passe au triage et je les étale en deux parties : les pantalons d’un côté et les hauts et chemises de l’autre. Ensuite, je procède au calcul par morceau, 250f pantalon et 150f le haut ou la chemise. Une fois conclu avec le client, je me mets au travail : le lavage, le séchage et le repassage »

Le métier de lingère encore surnommée « Fotkat » : un secteur en pleine mutation à l’ère du machinisme…

Mère Rokhy, une autre fotkat, la doyenne dont l’apparence et les traits du visage en informent sur son âge avancé, semble avoir pratiqué toute sa vie durant ce métier et malgré son âge avancé, elle continue de s’y adonner avec l’aide de deux femmes plus jeunes, sûrement des membres de sa famille. Interpelée sur son activité, elle avoue l’avoir commencé depuis son adolescence. Et depuis, c’est devenu sa source de revenu. Sa tactique de travail diffère, au-delà du « Siggi faye » elle prend des services facturés à la fin du mois, pour un montant qui varie entre 15.000F et 20.000F.

Contrairement à Maimouna et Rokhy, Seynabou, âgée de 25 ans, est étudiante. À la fermeture de l’année universitaire au lieu de s’adonner à des activités lucratives ou festives que mènent les filles de sa génération, elle a préféré nouer son pagne pour gagner sa vie à la sueur de son front sous le soleil de plomb de la Médina. Étudiante en année de licence 3 à l’UCAD au département de philosophie, elle est la fille de l’une des femmes lingères de ce lieu. Sa motivation en est tout autre. Cette activité est pour elle, une source de revenus pendant les périodes de vacances pour préparer son année estudiantine.

« Moi je ne suis là que pendant les vacances universitaires. Par contre, j’exerce ce travail depuis le bas âge car je suis issu d’une famille pauvre. Je le fais pour prêter main-forte à ma mère qui en a fait son métier. Maintenant que je suis grande et de surcroît étudiante à l’université, c’est à moi de payer mes frais d’apprentissage à la sueur de mon front, en plus de cela aider aussi maman pour les dépenses à la maison… grandir c’est aussi assumer des responsabilités, n’est-ce pas! » finit-elle de lancer sur un ton taquin.

Ce métier si vieux qui a toujours été source de revenus, une aubaine pour ces dames, est depuis ces 3 dernières années devenu une déveine. En effet, faudrait-il dire que le machinisme a encore pris le dessus sur l’ouvrier ?

Et la machine prend la place de l’homme…

Face à l’affluence de diverses formes de concurrence dans ce secteur, le plus fort s’impose. D’abord, avec l’installation des pressings ou services de nettoyage à sec, qui plombent le marché depuis quelques années, ce qui avait d’ailleurs commencé à secouer le business des lingères, proposant des méthodes de lavage plus sophistiquées. Ces derniers offrent des services payants par pièce et au kilotage. Soit des tarifs variants entre 2.000F l’ensemble de deux pièces, pour le traitement complet (lavage au repassage) et 2.500F à 3.000F les 5 kg pour un traitement simple (lavage simple). Ces machines sont à présent dans plusieurs zones et sont très convoitées.

À la Cité Damel, un quartier voisin de celui des Parcelles Assainies, des femmes comme Awa, mère de famille résidente, ont choisi cette option, et elles sont nombreuses. Selon elle, les charges qu’imposent les lingères sont devenues trop coûteuses ce qui l’a précipité vers les pressings.

 » Vous savez, c’était trop cher au final. Avec ces lingères, la facture s’alourdit de plus en plus. Déjà, elles sont deux parfois, ramenant avec elles leurs bambins. Ce qui implique que tu leur dois à chacun le petit déjeuner, le repas et le transport pour rentrer. Sans compter les frais de lessive (savon, eau de javel, charbon, etc.…), et comme si cela ne suffisait pas, elles encombrent tout ton espace. Et tout cela ne fait pas partie du coût de la main d’œuvre estimé à 20.000F le mois… Moi je me suis débarrassé d’elles depuis longtemps et sans regret… », confie-t-elle l’air soulagé.

Apparemment, la tempête qu’impose la concurrence est loin d’être apaisée, bien au contraire. Suite à l’invasion des services de nettoyage à sec, à présent, le secteur est dominé par les services de laverie automatique, implantés un peu partout à Dakar.

« Fotall Services »… encore une initiative novatrice

Le métier de lingère encore surnommée « Fotkat » : un secteur en pleine mutation à l’ère du machinisme…

La donne a encore changé pour apporter une nouvelle touche dans le secteur des lingères, encore un coup qui aurait l’effet d’une avalanche sur le business de ces lingères, les rendant de plus en plus vulnérables. En effet, à ce jour, la tendance n’est plus au service des lingères traditionnelles, ni au nettoyage pressing, mais plutôt au service de lavage automatique.

Depuis près de trois ans, l’on constate dans certaines zones et endroits publics l’implantation de machines de laverie de dernière génération qui proposent des services répondant de mieux en mieux aux besoins de la population. C’est du moins l’opinion de Pierre, un des clients rencontrés dans le cadre de notre reportage. Habitué des services de « Fotall », il fréquente le plus souvent le point se trouvant dans la station d’essence « Shell » en face du restaurant « le Relais » situé au quartier du « Point E ». Assise à côté sur une chaise et attendant tranquillement le lavage de ses vêtements, le monsieur, en jogging, a loué les services de cette nouvelle option de lavage qui s’offre au public Sénégalais. Un célibataire qui habite seul dans son appartement trop étroit, même s’il aurait voulu faire le linge, ce serait mission impossible compte tenu des conditions peu favorables. Habitant le quartier, ces machines résolvent ce problème. De plus, à un coût aussi moindre, il ne pouvait tomber mieux. Une virée chez cette entreprise qui a osé défier toute concurrence du moment était plus que nécessaire pour une petite interview, histoire d’en savoir un peu plus sur cette initiative innovante.

Implantée à Yoff, dans une cité nommée Nord-Foire, l’entreprise Fotall Services se situe plus précisément derrière la maison du célèbre chanteur Waly Seck. Arrivée dans les locaux, l’accueil était plutôt chaleureux avec une équipe dynamique sur place. Après une brève entrevue avec le Directeur général, place à l’entretien avec Mme Sarr, directrice commerciale et responsable du développement de la franchise.

« Nous nous sommes installés sur le marché depuis plus de deux ans, et notre initiative est motivée par le souhait de vouloir apporter une innovation dans le secteur du lavage mais aussi nous avons voulu répondre à un besoin en phase avec la configuration du pays, tout en  tenant compte que les gens n’ont plus le temps ni assez d’espace dans les maisons pour effectuer comme jadis le nettoyage du linge. C’est pourquoi nous avons jugé nécessaire qu’il est temps d’apporter une touche toute fraîche et innovante dans ce domaine… », a argumenté la responsable chargée de la communication de l’entreprise.

Ainsi, depuis l’ouverture de leur premier kiosque en 2021, aujourd’hui il en sont à dix sept (17) points de laverie « Fotall » dispersés au niveau de la ville, dans la banlieue dakaroise et dans les régions de Thiès et Saint-Louis.

Toutefois, poursuit-elle, dans chaque point, le client y trouvera deux agents sur place. Ces derniers se chargeront de le guider en termes d’informations mais aussi de services. « Ce sont ces agents qui vont récupérer le linge et s’atteler à l’ensemble de la procédure pour accomplir la tâche (triage, pesage, lavage, séchage et repassage au besoin) », souligne la dame.

Cependant le concept du service de lavage automatique est différent de la méthode des nettoyages par pressing. Outre le passage par kilo ou le lavage par pièce, ici c’est le volume qui est pris en compte. Soit c’est la machine de 20 kg dont les tarifs requis sont à 4.000f pour le lavage simple; 2.000f pour le séchage. Pour la machine de 9kg , 3.000f pour le lavage et le séchage à 1.500f. Pour ce qui est du repassage, il compte pour un service optionnel, donc payant à part si le client le souhaite : 5.000f pour le volume de 20vkg et 3.000f pour celui de 9kg.

À présent, les dés sont jetés, rude concurrence ou pas, le secteur du nettoyage de linge est depuis quelques années en pleine révolution. Un atout qui profite à certains citoyens tandis que d’autres y voient un « signal rouge », synonyme de danger pour leur survie, parce qu’étant leur gagne-pain. Cependant, comme le disait le dicton, « le client est roi » le plus convaincant des services profitera…

 

Ndèye MaÏ GUEYE (Dakaractu)

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