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Diouf Sarr et le Pr Moussa Seydi : L’impossible entente

Sen24.info – (Dakar) Après le désaccord, vient le temps des piques entre le professeur Seydi et le ministre de la Santé. La dernière, la troisième en un mois, semble sceller la mésentente entre le scientifique et le politique.
Le nouveau Service des maladies infectieuses et tropicales (Smit) de Fann émanait d’une forte demande du professeur Moussa Seydi. Son inauguration, hier mardi, par le Président Macky Sall, consacrait tous les efforts fournis par l’infectiologue de 56 ans pour doter l’Hôpital sénégalais d’une structure de prise en charge des maladies les plus dangereuses. «C’est l’un des plus grands et des plus modernes Centres de traitement des maladies infectieuses en Afrique. Il a une capacité de 70 chambres individuelles et de 13 suites», s’est-il enorgueilli, devant le Président et le ministre de la Santé. Les réjouissances auraient pu s’arrêter là, mais l’occasion était trop belle pour que Moussa Seydi ne prenne sa revanche contre les supposés coups de Trafalgar reçus de l’équipe du ministre de la Santé, Abdoulaye Diouf Sarr, tout le long de la riposte contre le Covid-19. De son verbe franc, qui lui a valu autant l’amitié du Président que l’inimitié de l’autorité sanitaire, le chef du Service des maladies infectieuses et tropicales de l’Hôpital Fann y est allé de sa petite pique. «Il (Macky Sall) a toujours respecté notre liberté et notre indépendance… Vous ne l’avez pas vu se mêler des traitements, il faut donner tel médicament et pas tel médicament. (…) Est-ce que vous avez une fois vu le président de la République faire quelque chose qui met mal à l’aise les praticiens ?» D’allure, cette tirade est innocente. Pour la décrypter, faut-il encore connaître les antécédents entre l’homme et sa tutelle depuis cette aventure Coronavirus.

De Ziguinchor à la deuxième vague

Au début, c’était un simple malaise. Installé par la légendaire franchise du technicien. En visite à l’hôpital de Ziguinchor, le professeur Seydi, chef de la riposte contre la pandémie, a regretté le manque d’équipements au service de réanimation de l’hôpital. C’était en avril dernier et il était parti sur le terrain constater l’opérationnalité des services sanitaires dans le sud du pays. Devant les questions des journalistes, il n’a pu s’empêcher de répondre comme un professionnel de la santé. «Le service de réanimation n’est ni fonctionnel, ni construit selon les normes, pour prévoir le pire», prévenait-il. La réaction du ministère de la Santé ne s’est pas faite attendre. Loin de goûter à l’honnêteté du Seydi, l’équipe de Diouf Sarr s’est lancée dans un recadrage en règle. Docteur Aloyse Diouf, alors directeur de Cabinet du ministre : «Nous, personnel de santé, le peuple fonde un grand espoir sur nous. Il y a des communications qui doivent se limiter entre nous, parce que nous ne devons pas inquiéter les populations par nos propos, même si on doit leur dire la vérité. Il y a des choses que nous devons régler entre nous.» Et d’ajouter : «Si les gens favorisaient la communication interne, ils sauraient que les appareils de respiration sont en route.» Le professeur n’a pas bronché, du moins publiquement, mais en sourdine, il sait qu’une «guerre» vient de s’enclencher avec la tutelle. Cette sortie inopinée à Ziguinchor sera, semble-t-il, «impardonnable».

Abdoulaye Diouf Sarr a beau chercher à tempérer l’opinion, en soutenant «garder les meilleures relations avec le Professeur (…) qui reste (son) principal conseiller» dans la lutte contre la pandémie au Sénégal, les actes qu’il pose depuis laissent croire à une «tentative de mise en isolement» de Moussa Seydi, comme l’écrivait L’Observateur en fin mai. C’est l’interprétation qui a été faite et refaite par le monde de la santé de la série de nominations dont a bénéficié en quelques jours un seul et même homme : le Professeur Cheikh Tidiane Ndour. Jusque-là directeur de la Division de lutte contre le Sida et les Ist (Infections sexuellement transmissibles), ce médecin/Colonel a été nommé, le 16 avril 2020, cumulativement à ses fonctions Directeur technique de la Clinique du Golf, un établissement d’une capacité de 50 malades. Puis, quelques jours plus tard, il a été hissé au rang de responsable du Hangar des pèlerins de Yoff qui recueille des cas positifs. Des mesures alors prises ou annoncées à l’insu de Seydi. Qui, pour illustrer son désaccord face aux actes du ministre, informe de son refus «dans ses conditions» de partager une table avec le professeur Ndour pour la gestion de la pandémie. C’est que l’infectiologue ne compte pas se laisser faire. Il est réputé professionnel, intransigeant, sans compromissions et bénéficie d’une aura médiatique internationale qui lui permet de s’affranchir de la tutelle directe. Au plus fort de la crise interne, il se permet sa première contre-attaque. «Ma priorité, c’est de voir et de traiter les malades avant tout. Je ne suis pas politique, les autorités me font simplement confiance», lance-t-il, avant de ronger son frein à la faveur de la baisse des cas. Mais entre novembre et décembre, le Sénégal est confronté à une résurgence de la maladie et des cas graves. A l’issue de la réunion du Comité national de gestion des épidémies en décembre, Abdoulaye Diouf Sarr se prononce sur la deuxième vague et annonce qu’elle est plus virulente que la première. Cette déclaration est, dès le lendemain, battue en brèche par Seydi qui montre à Diouf Sarr que le domaine de la santé est sa chasse gardée. «Ce n’est pas quelque chose qui est prouvé. A ma connaissance, personne n’a dit que ce virus-là est plus virulent que celui qui circulait avant», réplique-t-il, avant d’embrayer sur les causes probables de cette supposée deuxième vague : «Il y a une lenteur dans la remobilisation de ces ressources humaines, mais on n’a pas de problèmes de ressources humaines. Il suffit aujourd’hui de rappeler ces personnes, de leur faire signer des contrats pour qu’elles puissent travailler et faire fonctionner tous ces centres qui étaient ouverts dans la première phase.» Avec la pique d’hier, Seydi totalise trois attaques en deux sorties médiatiques rien que pour ce mois de décembre. Une succession de petits coups qui semblent sceller l’impossible entente avec sa tutelle. Mais dans cette bataille, Seydi a un atout de taille : la confiance de Macky Sall, l’autorité suprême.
Accrochage linguistique.

C’était déjà connu que le chef du Smit a l’oreille du président de la République. Ce dernier a d’ailleurs fini par être l’interlocuteur du technicien. C’est donc sans surprise ce mardi, s’il a semblé prendre le parti de Seydi lors de l’inauguration du Smit. En réponse aux éloges reçus sur sa réserve face aux protocoles sanitaires, le Président répond : «Il faut accepter la liberté des scientifiques et la liberté des universitaires. Moi, ça ne me gène nullement d’avoir des échanges même contradictoires avec les professeurs, avec les médecins, avec les journalistes. C’est vrai qu’il peut déranger si on n’est pas prêt à accepter la liberté du scientifique, de l’infectiologue. C’est pourquoi, j’ai tenu à vous accompagner de la manière la plus forte qui soit.» Une victoire pour le médecin, un désaveu pour le politicien. Parce qu’au fond, cette histoire n’est le résultat que d’un langage que l’un et l’autre ne partage pas et que Diouf Sarr, en bon politique, a dû mal à accepter. Les politiciens sont adeptes de la langue de bois, les scientifiques s’expriment avec un vocabulaire juste, dépouillé de tout maquillage. Seydi martèle cette différence à chaque fois que l’occasion lui est donnée. «Nous sommes des scientifiques, on ne prononce pas des mots qui n’ont pas de justifications, de contenus», commençait-il ce mardi. Une dynamique que tout le monde semble avoir compris. Lors du premier accrochage linguistique sur le manque de structure à Ziguinchor, Le Syndicat unitaire et démocratique des enseignants du Sénégal, section Enseignement supérieur et recherche (Sudes/Esr) s’était levé en bouclier.
«Les médecins hospitaliers universitaires ne reçoivent pas d’ordre du ministre et ne sont pas soumis à une quelconque obligation de réserve. Leur autorité, c’est le recteur de leur université.» Birahim Seck du Forum Civil d’insister sur le mal : «Les vérités du soignant Seydi et la volonté des administratifs d’étouffer la réalité des hôpitaux. Si les administratifs du ministère de la Santé en veulent au professeur Seydi, ils ont complètement tort.» Tant que l’administratif refusera au scientifique sa liberté de ton dans la lutte contre une maladie qui cristallise beaucoup de peur, il ne saurait, semble-t-il, y avoir d’entente cordiale. Dans ce bras de fer, Moussa Seydi, principal atout du Président dans le protocole de riposte, part gagnant.
Seneplus

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