Sen24.info – (Dakar) Macky Sall a décidé de suspendre toutes les autorisations de coupe de bois à la suite du massacre de 14 personnes en Casamance. Une décision révélatrice de l’ampleur du trafic de bois. Explications.
Il ne fait plus aucun doute que le massacre de 14 jeunes hommes venus chercher du bois dans la forêt protégée de Bayotte près de Zinguinchor soit lié au trafic de bois. Au total vingt-deux personnes ont été arrêtées le 14 janvier dans le cadre de l’enquête puis été inculpés pour « assassinat et participation à un mouvement insurrectionnel » et écroués vendredi, a-t-on appris de sources proches du dossier. Les six autres suspects ont été libérés sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux. Mais fait surprenant qui confirme de plus en plus la thèse du trafic, parmi les personnes arrêtées figuraient plusieurs jeunes membres d’un comité villageois de surveillance des forêts, condamnés puis libérés en octobre à la suite d’un conflit avec des exploitants forestiers.
Une information confirmée par le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC – rébellion), qui maîtrise parfaitement cette région en proie à une rébellion indépendantiste depuis 1982. Rapidement mise en cause, la rébellion du MFDC avait condamné un « acte odieux » et pointé du doigt des responsables administratifs et militaires locaux « à la tête d’un vaste réseau de coupe clandestine et de vente illicite de bois de teck ». Car jusqu’à présent le trafic de bois n’était pas pénalisé. Il suffit pour les trafiquants, en fait ces jeunes qui vont chercher du bois dans des endroits où c’est interdit de payer une amende. Les experts demandent au gouvernement d’aller plus loin en remontant les filières jusque dans les pays de la sous-région. Car c’est une spécificité de ce trafic de bois précieux, les commerçants changent très vite de stratégie et n’hésitent pas à traverser les frontières pour échapper à la prison.
Pénaliser le trafic de bois ?
En conséquence le président sénégalais Macky Sall a ordonné la supension de toutes les autorisations de coupe de bois selon un communiqué publié jeudi sur son compte officiel Twitter.
Le chef de l’État a enjoint mercredi 17 janvier en Conseil des ministres au gouvernement de « diligenter » les enquêtes pour « mettre la main sur les auteurs directs de cet acte et leurs complices, personnes qui seront recherchées, arrêtées, jugées et punies par la loi à la hauteur de leurs forfaits odieux », selon le communiqué.
Macky Sall a également donné instruction « au gouvernement de suspendre jusqu’à nouvel ordre toutes les autorisations de coupe de bois et de procéder sans délai à la révision du Code forestier », selon le texte. Il a demandé aux forces armées « d’engager tous les moyens requis afin de neutraliser durablement toutes les bandes armées qui sévissent sur l’ensemble du territoire national », tout en réaffirmant son engagement à un « dialogue inclusif » pour parvenir à la paix en Casamance.
Le ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, a annoncé le 9 janvier un renforcement de la répression du trafic de bois en Casamance. Pour le reste peu de détails ont été donné sur la mise en eouvre de ces mesures.
Quelques jours avant le massacre, le climat semblait particulièrement propice à une relance du processus de paix. Dans son message de fin d’année, le président Sall avait lancé un appel à la rébellion pour faire « le pas décisif vers la paix définitive, une paix sans vainqueur ni vaincu », et deux membres du MFDC avaient été libérés le 1er janvier.
Un trafic qui a commencé à la frontière gambienne et s’étend désormais à celle de la Guinée-Bissau
La décision du président sénégalais fait suite à d’autres engagements prit par son gouvernement pour mettre fin au trafic de bois dans cette région. Enserrée au nord par la Gambie et au sud par la Guinée-Bissau, baignée à l’ouest par l’océan Atlantique, la Casamance (29 000 kilomètres carrés, 1,9 million d’habitants en 2018 selon l’agence statistique nationale) a été longtemps considérée comme le grenier du Sénégal.
C’est l’une des régions les plus boisées du pays, menacée de déforestation par le trafic de bois qui y a longtemps été mené par notamment des exploitants forestiers sénégalais et des groupes armés locaux. Depuis que le président gambien Yahya Jammeh a quitté le pouvoir en janvier 2017 en Gambie, longtemps plaque tournante de la contrebande de bois de Casamance – à destination en particulier de la Chine –, ce trafic s’est déplacé dans le sud de la région, moins surveillé que les zones frontalières de la Gambie, selon Nouha Cissé, personnalité écoutée de la société civile de Casamance.
Dans une vidéo publiée en 2016 par l’Oceanium de Dakar, un organisme créé et dirigé par Haïdar El Ali, militant écologiste et ancien ministre de l’Environnement, on peut voir une partie de ce trafic de bois de vène, coupé illégalement entre la Casamance et la Gambie voisine. Commentant l’annonce du président, Haïdar El Ali a affirmé apprécier cette décision de suspension, mais estime que c’est insuffisant. Ajoutant que le président sénégalais va faire face à de puissants lobbies dans sa volonté de lutter contre le trafic de bois.
Pour le responsable de la campagne océans de Greenpeace Afrique, Ibrahima Cissé, cité par Leral.net « cette mesure constitue une étape importante pour une meilleure gestion de nos forêts, menacées par les activités humaines et des multinationales ». Arguant que « Depuis plusieurs décennies, le Sénégal perd des milliers d’hectares de forêt à cause du trafic illicite de bois et les feux de brousse. Il est donc urgent d’adopter un code forestier durable et assorti de garde-fous afin de lutter contre la déforestation. La transparence et la participation de tous les acteurs, y compris, en priorité, les communautés, devront guider l’élaboration de ce nouveau code. Les forêts jouent un rôle primordial pour le maintien de la biodiversité, l’agriculture, la lutte contre le réchauffement climatique, l’érosion, et le maintien du cadre de vie des populations locales » a t-il conclu.
Pour l’instant le gouvernement n’a pas dévoilé l’étendue des mesures qu’il va prendre dans le détail. Mais tous les acteurs semblent avoir pris en compte l’urgence du dossier. Car tout près de Ziguinchor, « de nombreuses scieries traditionnelles clandestines opèrent dans la forêt », a déclaré à l’AFP le député-maire de la ville, Abdoulaye Baldé. Les trafiquants opèrent généralement de nuit et font convoyer vers Ziguinchor des charrettes remplies de teck ou de bois de vène, selon des habitants et des responsables locaux.
Par Le Point
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